En 1980, une quarantaine de plongeurs du Comité de Développement de
l'Accessibilité au Territoire (EAU-RAGE) se sont rencontrés à plusieurs
reprises dans les campings adjacents au magnifique lac St-François situé à la
limite du Québec, de l'Ontario et de l'état de New York. Un important rapport
portant sur plus de 35 sites de plongée différents résulta de cet effort
bénévole. Parmi tous ces sites celui de l'île du Grenadier, près de
Port-Lewis, réunit plusieurs des atouts de ce merveilleux lac à plonger.
LE POUMON DU ST-LAURENT
Le lac St-François n'est en fait qu'un élargissement du fleuve St-Laurent.
Immense bassin de 200 km2, il est traversé d'un bout à l'autre sur
40 km par le chenal de la Voie Maritime du St-Laurent. Sa profondeur moyenne,
variant de 4,5 à 10 m, en fait un site intéressant pour la plongée autonome,
à condition de se tenir à l'écart des zones fréquentées par les gros cargos
que rien ne peut dérouter de leur course entre le canal de Beauharnois au nord
et les écluses de Cornwall au sud-ouest.
Ce qui est impressionnant dans ce plan d'eau, c'est la visibilité. Par temps
calme, elle dépasse les 10 mètres! atteignant parfois les 15 mètres dans des
secteurs bien protégés. Seuls les secteurs de la Baie des Brises et de
St-Zotique semblent plus opaques.
Les innombrables herbiers qui entourent le lac oxygènent les eaux alcalines
en provenance du lac Ontario. Avec des teneurs de 8 à 9 mg/litre d'oxygène,
des pH aux alentours de 8, et des températures estivales au dessus des 70° F,
ces eaux limpides sont un véritable héritage naturel que nous laisse admirer
notre grand fleuve.
LE RÉCIF DU GRENADIER
À moins de 4 ou 5 km du camping et du quai de Port-Lewis, gît un haut-fond
signalé sur les cartes marines sous le nom de "the LUMP". Là, à
moins de 300 mètres de l'Île du Grenadier, le plongeur apnée et/ou autonome
fera la découverte d'une véritable jungle subaquatique. Toute la gamme des
plantes d'eau douce est présente et les poissons sont partout !
Indiqué par quelques piquets et balises de fortune laissés là pour avertir
pécheurs et amateurs de voile des risques d'échoueries, le récif du Grenadier
est une bosse rocheuse qui affleure jusqu'à moins de 30 cm de la surface à
plus ou moins 1 km au nord de la marina de l'île Raymond.
En plein milieu du lac, il suffit d'ancrer solidement et de glisser à l'eau.
Le fond est dur et recouvert de million de coquilles de limnées blanchies par
l'abrasion des vagues. Le sable soulevé par vos palmes retombe aussitôt au
fond comme celui des mers de corail !
En quelques coups de palmes, on s'éloigne de ce button rocheux pour survoler
une forêt de cératophylles, d'élodées (Anacharis) et de myriophylles
de 2 à 3 mètres de hauteur! Ça et là des murs d'algues séparent des
clairières sous-marines de quelque 20 à 30 mètres carrés où cohabitent des
dizaines d'espèces différentes de poissons.
PLUS DE POISSONS QU'EN MER !
Si les biologistes évaluent à 45 le nombre d'espèces de poissons présents
dans le lac St-François, il sera facile de soutenir que la plupart se sont
données rendez-vous au Récif du Grenadier! En une seule plongée. c'est par
centaines que vous compterez les membres de cette faune ichtyenne.
Attention ! il ne s'agit pas que de menu fretin! Une de nos plongeuses s'est
précipitée à bord de son pneumatique après avoir été surprise par un
monstre de près de 2 mètres de longueur (hum! la surprise grossit encore plus
que la distorsion sous-marine...). Il fut impossible d'obtenir une description
claire du "méné" en question mais au cours de cette plongée
quelques maskinongés et brochets de plus d'un mètre furent observés par
plusieurs plongeurs. De plus des lépisostés et des esturgeons fréquentent ces
eaux. Et si cela ne suffit pas à vous convaincre, nous renchérissons en vous
dévoilant que plusieurs grosses "mémères" de la gent
"doré" furent aperçues en plongée scuba sur le versant nord du
récif dans 7 à 8 mètres de profondeur !
Pour ce qui est du menu fretin. imaginez-vous environnés de crapets de
roche, d'achigans (à grande et à petite bouche s.v.p.!), de crapets soleil, de
calicots et "d'oreilles bleues" (de véritables "blue gills"),
incroyable n'est-ce pas! Alors retournez-vous et voilà un banc de grosses
perchaudes! Regardez au fond entre les algues et voilà de nonchalantes
barbottes... contournez ce mur de potamogetons et surprenez un groupe de dards,
de logue-perches ou un moxostome (carpe à cochon).
Jamais nous n'avions vu autant de poissons dans un même endroit. Mais le
clou de ces plongées du mois d'août fut l'observation des anguilles.
LES ANGUILLES DU ST-FRANÇOIS
Autant ces poissons-serpents sont repoussants en surface, autant ils sont
gracieux et intéressants lorsqu'observés en plongée. Encore là, il s'agit
d'un grand nombre de spécimens, tous ayant près d'un mètre d'envergure, qui
fréquentent ces grands herbiers. Accrochées aux "branches" des Alismacées
et des Utricularias, elles sommeillent en attendant une quelconque
victime.
Approchez-vous et touchez en une! Sans blague, c'est facile! et vlan! rapide
comme l'éclair. l'anguille s'enfuit fonçant tête première dans une touffe
d'herbage.
PHOTOGRAPHIE ET PLONGÉE D'OBSERVATION
Le Récif du Grenadier est un site facile d'accès pour qui possède ou loue
une embarcation (autour du lac, il y a une vingtaine de pourvoyeurs de pêche
qui font la location de chaloupes). Situé à moins de 70 km de Montréal, à 10
km au sud de Valleyfield, ce site de plongée est idéal pour la tenue de stages
ou de plongée d'observation. L'endroit est propice à l'étude détaillée de
la flore, de la faune, de la succession des espèces (profondeur).
Grâce à la plongée autonome (avec des profondeurs atteignant les 6 à 7
mètres sur fonds durs), le site est magnifique pour la tenue d'un safari-photo
sous-marin.
Avec un peu de patience, il serait possible d'y installer, dans environ 4
mètres d'eau, sur fond de coquillages, un véritable plateau de tournage
subaquatique.
PLONGÉE DE NUIT ET PLONGÉE DE COURANT
Pour s'assurer que notre analyse de ce merveilleux récif n'était pas le
fait du hasard, plusieurs autres plongées furent menées sur le site. Plongées
de nuit, plongées de jour en 1981 et 1982, plongées en juin puis en septembre.
Le site est demeuré constant. Il est à noter toutefois qu'en juin il semble
moins peuplé du fait de la plus faible couverture végétale. En effet, ce
n'est que vers le mois de juillet que la flore sous-marine québécoise atteint
sa maturité.
En plongée de nuit, le Récif du Grenadier offre un paysage différent et
une faune plus simplifiée.
Rappelons que la position du site, au large, oblige à certaines précautions
s'apparentant à la plongée de courants. Ainsi un bon ancrage, la présence de
vigies à bord des embarcations et l'usage des lignes de rappel (current lines)
s'imposent.
CONNAÎTRE LE FLEUVE 1980
Le Récif du Grenadier, l'île Cormier, l'île Vassale, les Hauts-Fonds de
St-Anicet, le phare D-27 et bien d'autres lieux de plongées du St-François
font partie d'un important recueil d'inventaires colligés en 1980 par un groupe
de plongeurs dirigés par M. Robert Vandal. directeur du projet "Connaître
le Fleuve 1980" du C.D.A.T. de la Fédération.
Tous ces rapports, fiches et cartes annotées s'ajouteront un jour à la
brochure Montréal-Rive Sud (Montérégie) du Guide du Québec Sous-Marin
OPÉRATION EAU-RAGE. En attendant, le Récif du Grenadier constituera une
destination facile de plongée pour qui est attiré par l'eau chaude, par de
bonnes visibilités et par l'abondance de la faune et de la flore.
Bienvenue dans un des sites de plongée les plus sous-estimés de la
province: le lac St-François.